Des chevaux portugais à Genève
Avertissement
Ce texte a été publié en 1961 dans la revue portugaise Diana sans nom d'auteur. Mais cet auteur précise qu'il a vendu le cheval Euclides, ce ne peut donc être (à mon avis) que Fernando d'Andrade qui était son éleveur.
C'est grâce au site http://nunoliveira.unblog.fr que j'ai eu connaissance de cet article qui fait la lumière sur ces épisodes de la vie d'Oliveira et de quelques autres personnes. Que l'auteur de ce blog en soit remercié!
Le traducteur, Jean Magnan de Bornier
Le texte
Tout a commencé par l'oreille d'un cheval, et s'est terminé par une magnifique journée de propagande en faveur du Portugal, et de ses chevaux, à Genève.
Monsieur Baumeister, français de naissance mais résidant en Suisse, était potentiellement un dingue des chevaux, mais son métier ne lui a pas permis de se consacrer corps et âme, comme il l'aurait voulu, au noble animal.
Les années ont filé, et si la jeunesse s'est éloignée, les disponibilités en temps et en argent ont grandi, et le rêve de toujours a pu devenir réalité avec l'achat à Vienne en Autriche d'un cheval lipizzan.
Maestoso Stornella, tel est son nom, est petit et turbulent, alors que M. Baumeister n'est pas réellement de petite taille.
En voyage professionnel, cet important homme d'affaires1 se trouvait au Portugal à l'occasion du concours hippique de Cascais en 1959 et comme amateurs de chevaux nous nous sommes retrouvés à parler avec le Major Ramires.
Une parole en amenant une autre, il nous montre des photographies de Maestoso Stornella pour appuyer ses dires, et le Major observe une similitude dans le contour des oreilles avec son magnifique cheval Apache. De là nous filons voir Apache sans tarder. La taille de ce cheval impressionna notre visiteur, ainsi que sa ressemblance morphologique avec les chevaux lipizzans, et l'idée lui vint de remplacer son petit Maestoso par un cheval de ce type. J'ai répondu à son désir en lui vendant Euclides, cheval andalou, frère du père d'Apache, toisant 1m,65 et montrant de magnifiques caractères de sa race – Euclides qui a gagné ensuite le premier prix des 4 ans à la foire de Golegã ainsi que le prix du meilleur cheval présenté à la foire.
M. Baumeister, sentant que la différence de température entre la Suisse et le Portugal, au mois de novembre, pouvait être néfaste à la santé d'Euclides, décida de le confier aux soins de M. Nuno Oliveira, lui demandant d'avancer son dressage jusqu'à l'année suivante.
Au printemps 1960 il vint voir son cheval et s'occuper de son voyage vers la Suisse, mais il fut tellement stupéfait des progrès d'Euclides, et de la facilité avec il se laissait diriger par lui, cavalier débutant avec à peine une année de promenades bucoliques autour de Genève, qu'il décida non seulement de laisser le cheval une année de plus aux soins de M. Oliveira, mais aussi de venir passer l'été au Portugal avec sa famille pour apprendre les secrets du noble art de Baucher.
Il est revenu ensuite pendant le printemps et l'été 1961 et apprit à exécuter les exercices de haute-école comme passage, piaffer, changements de pied au temps et pirouettes, sans oublier les appuyers, le reculer, le pas espagnol, tous exercices dont il avait entendu dire à Genève, même par des cavaliers plus novices que lui, qu'il fallait de nombreuses années de travail acharné pour les enseigner.
Son enthousiasme pour le travail du maître l'amena à faire venir au Portugal son petit Maestoso qui avait alors été confié en dressage à un maître français qui, au bout de deux ans, n'avait réussi qu'à le rendre rétif et n'avait pas commencé à le travailler au galop, l'en considérant incapable2.
Face à l'échec du maître français et vu sa volonté d'avoir un cheval d'une race dont le bon caractère est proverbial auprès des peuples d'Europe Centrale, et le comparant aux résultats inouis du maître portugais et au caractère admirable dont faisait preuve Euclides, M. Baumeister devint un partisan fervent et reconnaissant du Portugal équestre.
Poussé par sa générosité et son amabilité, il voulut présenter à ses amis et à ses compatriotes nos merveilles équestres, et ainsi, le 28 septembre se réunirent au manège de Meyrin, dûment décoré pour l'occasion, quelque trois cents personnes représentatives de la belle ville de Genève, les Consuls du Portugal et de France, les journalistes, la radio et la télévision, à qui fut offert un magnifique cocktail alors qu'une fanfare de trompettes de chasse, jouées par des trompettistes en habits vermeil, entamait un air joyeux.
S'ensuivit une présentation du cheval Maestoso Stornella par maître Oliveira, démontrant l'expertise et la science de notre virtuose professeur d'équitation, qui avait réussi en quelques mois ce qui n'avait pas été possible en deux années à Genève, dans un travail harmonieux et brillant aux trois allures, d'une et de deux pistes, abordant le passage et un piaffer brillantissime, les changements de pied au temps et le pas espagnol. Le public des habitués du manège, familier des difficultés que posait le dressage de Maestoso, fut enthousiasmé du spectacle et le manifesta bruyamment.
Les entrées et sorties des chevaux étaient soulignées par les éclats de la fanfare et les explications claires et intelligentes du présentateur, le docteur Mastrangelo, vétérinaire dédié au cheval et grand admirateur de notre écuyer péninsulaire, et le travail fut effectué au son d'une musique choisie pour l'occasion.
Ce fut ensuite le travail d'Euclides. Ce cheval, présenté à la portugaise avec une selle traditionnelle, dans des exercices d'école classique et de fantaisie, exécuta des changements de pied au temps en cercle et en huit de chiffre, pirouette et pirouette furieuse, piaffer, trot espagnol et, par dessus tout, un pas espagnol magnifique, fluide et de grande élévation, et son passage déjà fameux, d'un brillant peu courant pour sa cadence, son amplitude, son élévation et son «tride», travail qui concluait cette présentation et qui fit se lever le public.
Puis ce fut le tour de M. Baumeister lui-même, qui voulut montrer à ses amis ce que le maître avait pu faire de lui en trois petites périodes, deux de deux mois et une de quinze jours; il s'est présenté avec Euclides, exécutant sous la direction du maître changements de pied, appuyers, passage et pas espagnol. M. Baumeister a si bien réussi et ses progrès étaient tellement évidents que quelqu'un dans l'assistance s'est porté candidat pour aller prendre des leçons au Portugal, et d'autres pour y envoyer leurs chevaux en dressage.
Pour terminer cette présentation, démontrant la légèreté de son travail, Euclides fut finalement monté par le maître avec un unique ruban dans la bouche, et ainsi exécuta son répertoire d'école, tantôt lent et cadencé, tantôt déchaîné et tauromachique.
Le public a ovationné et félicité chaleureusement maître et disciple, et différents cavaliers présents sollicitèrent du maître des conseils et des leçons à l'occasion d'un nouveau passage à Genève.
La journée se termina par un repas en présence du Consul de France et de quelques dizaines d'amis de M. Baumeister dans les jardins de sa résidence, avec une illumination féérique où au son d'une musique portugaise la sympathique maîtresse de maison se produisit conduisant Maestoso Stornella aux longues rênes, dans un travail de passage et piaffer.
M. Baumeister a rendu un réel servîce au Portugal à travers cette fête de promotion de nos chevaux et de notre intuition innée pour le dressage, la preuve en est que le dimanche suivant, au concours hippique de Genève, j'ai été abordé par divers cavaliers qui m'ont demandé si le caractère qu'Euclides a manifesté, et qui était déjà connu de personnes n'ayant pas assisté à fête au manège Meyrin, était commun aux chevaux portugais, et si dans notre production de chevaux d'obstacle il y en avait ayant ces qualités, si difficiles à trouver chez les chevaux qu'ils achètent d'habitude en Allemagne, en France, en Pologne et en Hongrie, auquel cas ils pourraient envisager de venir se remonter chez nous.
Pour ce service qu'il nous a rendu, je veux dire ici bien haut notre reconnaissance en tant que portugais à Monsieur Baumeister.
Hourra!
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Notes de bas de page:
En français dans le texte original (note du traducteur)
L'écuyer français en question est très certainement René Duclos, ainsi que le précise Henri Wagneur dans un autre témoignage ici: http://www.wagneur.ch/0-oliveira.htm