Conceptions de l'équitation
Dans le domaine de l'équitation académique ou «classique», il est courant de caractériser des écoles différentes par la différence des procédés, tout en insistant sur l'identité des objectifs, qui peuvent se définir de manière très générale (réponse immédiate du cheval aux demandes du cavalier, impulsion, rassembler, etc.). Le règlement de la FEI (et particulièrement son article 401) peut être considéré comme une référence concernant ce qui est désirable en équitation.
Pourtant, il y a des domaines où les conceptions entre écoles, ou entre individus, semblent irréconciliables. En voici deux exemples qui me semblent particulièrement frappants.
Les foulées
Commentaire d'un spécialiste au cours d'une épreuve de dressage: «le cheval a fait son appuyer au trot en tant de foulées, il s'est amélioré par rapport à la dernière fois où il avait fait une foulée de plus. Il obtiendra une note encore meilleure s'il arrive à couvrir la distance avec une foulée de moins.»
Commentaire d'un écuyer bauchériste français, en regardant le galop d'Ansioso monté par Nuno Oliveira: «Son galop est meilleur que l'année dernière, il est plus rassemblé, il a fait une foulée de plus que l'année dernière sur les grands côtés du manège».
Deux cultures équestres qui paraissent à des années-lumière l'une de l'autre, celle du dressage comme démonstration de modèles et allures, celle du dressage comme gymnastique. L'opposition n'est pas ici entre écoles germanique ou latine, puisqu'on peut considérer que l'École de Vienne se situerait plutôt dans le camp du rassembler, mais entre cultures équestres dans un sens plus large. Aucun argument de technique équestre ou vétérinaire ne nous permet de trancher entre ces conceptions.
La bouche, ouverte ou fermée
Un écuyer allemand de renom, en visite chez N. Oliveira, est invité à monter après ce dernier un cheval en cours de dressage. Il se déclare impressionné par la beauté de son piaffer, admet même n'en avoir jamais vu ni senti d'aussi brillant. Puis il demande très sérieusement au maître «Mais à quel moment du dressage leur fermez-vous la bouche?»
Oliveira était épaté qu'on puisse lui poser une telle question, il la considérait comme la manifestation d'une incompréhension totale de son art. Ses chevaux n'avaient pas la bouche ouverte, mais une bouche mobile (parfois quelque peu bavarde) et galante, comme disaient les anciens, instrument d'une conversation permanente et sans force. L'idée qu'on puisse vouloir fermer cette bouche l'atteignait comme un boulet de canon, mais cette bouche fermée et silencieuse semblait pourtant naturelle et indispensable à l'expert allemand. Sur ce point, aucun espoir d'accord n'est possible et les conceptions de la mobilité de la mâchoire resteront de part et d'autre d'un fossé infranchissable.
Pour éviter une possible ambiguïté, je précise que fermer la bouche des chevaux n'est pas nécessairement synonyme, à mon avis, d'une muserolle très sérrée…