Crime et châtiment: récompenses et punitions dans le dressage

Selon La Guérinière: «[C]omme les chevaux n'obéissent que par la crainte du châtiment, les aides ne sont autre chose, qu'un avertissement qu'on donne au cheval, qu'il sera châtié, s'il ne répond pas à leur mouvement.»

Les pratiques comme les conceptions du siècle des Lumières, en matière de relations homme-animal, sont bien dépassées, nul ne le contestera; la vision du dressage selon un modèle «punition-récompense» (ou, mieux, «récompense-punition») n'a cependant pas totalement disparu, et on voit souvent dans les textes actuels des relents de cette vision anthropocentrique, et de la pire manière. J'ai lu par exemple, il y a quelques années, dans un manuel officiel, qu'il fallait inculquer au cheval «la notion du bien et du mal»!

Je n'ai nullement l'intention ici d'aborder cette question sous un angle moralisateur, de condamner la barbarie des anciens au nom d'une éthique de l'écuyer dont l'intérêt ne m'apparaît pas (je suis aveugle à certaines choses…); c'est du point de vue de leur efficacité dans le dressage que je veux parler des récompenses et des punitions.

Dans ce but, je ne mettrai pas en avant une théorie générale de ce qu'est le cheval: être sensible ou mécanique réagissant à des stimuli, ou plutôt j'admettrai qu'il est les deux à la fois, sans vouloir en tirer de déductions, tant la matière est complexe, et les déductions en nombre infini. Mais je vais évoquer ce que j'ai pu tirer de quelques expériences, où j'ai vu que certaines choses ne fonctionnent pas avec les chevaux, et que d'autres réussissent au contraire magnifiquement.

Récompenses

Caresses, friandises, flatteries de la voix, retour immédiat à l'écurie, sont les récompenses habituelles; elles sont agréables au cheval, et chacun peut inventer ses propres récompenses. Le principe d'association pose que le cheval se souvient de ses actions accompagnant une récompense; une fois l'association en place, il saura que l'action provoque la récompense et cherchera à la reproduire. L'action évoquée ici, ce n'est pas quelque chose dont le cheval doit avoir l'initiative, c'est la réponse à une demande. Si les demandes du cavalier sont bien nettes, l'association sera mise en place rapidement, mais si le cavalier est maladroit ou incohérent (il veut obtenir une action tantôt d'une manière, tantôt d'une autre), cela prendra du temps, voire n'arrivera jamais. La vitesse de mise en place dépend aussi des réflexes du cavalier: récompenser tout de suite après une réponse positive; si on récompense trois foulées après, que comprendra le cheval?

L'abus de récompense est un crime contre le dressage: par ceci je veux dire que récompenser un cheval qui fait autre chose que ce qu'on lui demande ne mène qu'à la catastrophe; certains cavaliers, ayant conscience de leur maladresse (c'est à leur honneur) croient devoir s'excuser auprès de leur cheval (pourquoi pas?) et utilisent les mêmes gestes que pour récompenser, par exemple des caresses: voilà ce qu'il ne faut jamais JAMAIS JAMAIS faire. D'ailleurs, persuadons-nous que le cheval n'a que faire de nos excuses, cela vaudra mieux pour tout le monde! Ceci s'applique évidemment au cas du cheval qui fait quelque chose qu'il a appris, mais sans qu'on le lui ait demandé.

Bien entendu, en dehors des moments de travail, je ne vois aucune raison de ne pas manifester par tous moyens son amour à son cheval. Ce qui est écrit ci-dessus ne concerne que les moments de travail, que le cheval distingue très bien du reste.

Punitions

Il y a hélas beaucoup de choses qui peuvent servir de punition, parce qu'elles sont désagréables au cheval. Contrairement à la récompense, qui est le plus souvent volontaire de la part du cavalier, la punition est souvent administrée sans le savoir par la plupart des cavaliers: ce n'est pas une critique mais un état de choses qu'il faut bien constater. Une main qui bouge, un poids du corps qui se retient par les rênes ou par les jambes, voilà des faits courants qui dans la psyché du cheval sont perçues négativement, donc sont des punitions, alors que le cavalier ne sait pas qu'il est en train de châtier son fidèle compagnon! Voilà une différence fondamentale avec les récompenses.

Une autre différence est que la punition peut créer des réactions excessives chez le cheval. Qu'attend-on rationnellement d'une punition, à supposer qu'on accepte le modèle «punition-récompense»? On en attend une correction de l'erreur de comportement. La peur, la douleur, la colère, la détestation, qui peuvent être provoquées par une punition, n'ont aucune chance d'être des remèdes à l'erreur supposée du cheval. Il faut que la punition évite de créer ce genre de réaction contraire, sinon le cheval perd ses moyens et son attention, il n'y a plus de dressage possible.

Pourtant, il faut bien empêcher le cheval de faire certaines choses, l'obliger à en faire d'autres. Mais le cavalier doit se poser d'abord certaines questions: n'est-ce pas moi qui, sans m'en rendre compte, ai demandé à mon cheval de faire ci ou ça? N'est-ce pas moi qui lui interdis par tel ou tel mouvement ou attitude, de faire ce que je voudrais? Si nous pouvons répondre non à ces questions, si le problème vient effectivement du cheval (et il faut être un cavalier avancé pour en être sûr), alors nous devrons peut-être bien réagir.

Il y a là plusieurs possibilités:

Le cheval ne comprend pas mon ordre; Le cheval comprend mais n'est pas en état physique de l'exécuter; Le cheval comprend mais ne veut pas exécuter l'ordre.

Quand je parle d'exécuter un ordre, je sous-entends «avec le degré d'énergie que j'ai demandé».

Dans le premier cas l'écuyer reviendra sagement en arrière, et ne laissera pas le cheval se souvenir de sa maladresse, en enchaînant sur des choses faciles et distrayantes pour le cheval. Dans le deuxième cas, reprendre la préparation et redemander plus tard (trois minutes ou trois mois, selon la difficulté). Dans le dernier cas et uniquement là (vous voyez qu'on a éliminé de très nombreuses possibilités), on peut reposer la question de la punition.

Quand on se heurte à la volonté du cheval, pour une demande que le cheval est apte à satisfaire, un principe de base est qu'il ne faut pas renoncer, à lier avec le principe énoncé plus haut que le cheval ne doit pas perdre ses moyens du fait de nos réactions. La manière «rationnelle» est de montrer au cheval qu'on ne va pas renoncer à lui demander ce qu'on veut. Nuno Oliveira disait parfois à ses chevaux «Je suis plus têtu que toi», et bien évidemment quand il s'adressait ainsi à un cheval c'était aussi pour que les spectateurs se rendent compte de ce qui se passait (car les détails de l'éventuelle résistance d'un cheval étaient rarement apparents). Être plus têtu, c'est-à-dire continuer à demander la même chose au cheval jusqu'à ce qu'il s'exécute, et sans augmenter trop l'intensité des aides, l'idéal étant de demander avec des aides toujours égales; si on fait cela, le cheval aura cédé par la seule persuasion, et sera convaincu que le cavalier est plus patient, plus résistant que lui: quel capital pour la suite du dressage!

Mon point de vue sur les punitions est donc que la plus grande punition à laquelle on a besoin de soumettre un cheval dans le cours de son dressage est l'opiniâtreté dans les demandes, quand le cheval refuse d'obéir. Tout autre châtiment est inutile, inefficace (et barbare évidemment).

J'espère que vous comprenez, chère lectrice, cher lecteur, pourquoi je ne suis pas vraiment un partisan du modèle «punition-récompense». L'une n'est pas le symétrique de l'autre. Il faut penser le dressage en d'autres termes, et en termes essentiellement positifs et orientés sur la collaboration à 99,9% (et réserver les appels à l'autorité à quelques rares moments de crise).

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Auteur: Jean Magnan de Bornier

Created: 2018-09-08 sam. 19:46

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