Dressage et apprentissage

Faire croire au cheval qu'on ne lui demande rien, et l'habituer ainsi, sans qu'il s'en aperçoive, à se laisser conduire. Cela mène rapidement à la soumission. Étienne Beudant

Le dressage est-il un apprentissage?

Derrière cette question naïve peuvent se dissimuler plusieurs débats. L'un d'entre eux compte parmi les plus fameux: celui entre l'équitation comme gymnastique (Steinbrecht par exemple) et l'équitation comme éducation (Baucher par exemple). Et on voit aussi que la place de l'éthologie pourrait être un nouvel enjeu dans ces débats qui en réalité sont aussi vieux que l'expérience équestre de l'homme.

Mais si le cheval n'est certainement pas qu'une machine et possède un psychisme fort important pour le dressage, il a une composante machine qu'il ne faut pas nier, et dont l'utilisation correcte peut se révéler un atout extraordinaire pour le dressage. Cette «composante machine» se compose de son ossature, ses muscles et ligaments, etc., et de ses instincts, c'est-à-dire des réponses qu'il fait naturellement à des stimuli extérieurs (voir aussi sur cette question la page consacrée aux aides).

Je considère que le dressage du cheval contient plus de choses qu'un simple apprentissage; il y a des choses que le cheval n'apprend pas mais qui se construisent durant le dressage, comme par exemple sa musculation et sa souplesse (qualités physiques de la composante machine), le calme et la soumission (qualités morales de la composante psychique). La partie éducation comporte l'apprentissage d'airs ou de mouvements, comme l'appuyer, les changements de pied, le piaffer, etc.

Il peut sembler étrange d'écrire que le calme et la soumission ne s'apprennent pas; je ne nie pas que ce sont des qualités que le cheval ne présente pas nécessairement au début de son dressage, des qualités qu'il faut construire. Mais ce n'est pas au cours d'un processus d'apprentissage qu'on les construit, c'est par la mise en place d'un environnement et d'une relation entre l'écuyer et le cheval; d'ailleurs, enseigner la soumission me semble être une contradiction dans les termes: il faut que la soumission soit déjà là pour qu'on puisse enseigner quelque chose. Cet environnement, constitué par l'attitude du cavalier, s'imposera petit à petit au cheval. Le calme et la douceur permanents persuadent vite le cheval qu'il n'a rien à craindre de son partenaire, et le rendent déjà assez calme pour une bonne partie des besoins du dressage (un calme absolu sera néanmoins enseigné plus tard par ceux qui maîtrisent la mise à l'éperon, mais ce n'est pas ce dont je parle ici). Quant à la soumission, elle naît aussi de l'attitude de l'écuyer qui ne demande jamais que des choses qu'il est certain d'obtenir, et les demande avec assez d'opiniâtreté quand c'est nécessaire pour être sûr d'être obéi sans jamais avoir besoin de s'imposer par la force (voir la page sur les récompenses).

Abordons maintenant la partie apprentissage, celle dans laquelle le cavalier ou l'écuyer (qu'on me pardonne d'avoir banni de mon vocabulaire le mot «dresseur»…) enseigne effectivement quelque chose au cheval; il lui apprend à faire un certain mouvement quand un certain ordre est donné. Le mouvement en question fait souvent partie des mouvements que sa nature permet au cheval, mais qu'il ne fait pas spontanément. En effet on n'a pas besoin d'apprendre au cheval à marcher droit devant lui, mais il faudra lui apprendre à reculer; et pourtant le mécanisme du reculer est bien présent à l'état latent chez le cheval, il y a bien une allure du reculer qui est peu ou prou la même chez tous les chevaux; on peut dire la même chose du passage ou du changement de pied: ce sont des mouvements présents «dans la nature» du cheval mais qu'il ne fera pas de lui-même (ceci étant d'ailleurs assez variable selon les chevaux et les exercices).

Cet apprentissage peut se faire de diverses manières, bonnes ou mauvaises, rapides ou lentes (et ceci se combine avec cela), etc. Apprentissage par «immersion», apprentissage par routine, ne sont pas des techniques (si l'on peut dire) que je considère comme appropriées. Je vais me contenter ici de décrire ce que je considère comme un bon apprentissage, celui qui respecte le cheval, qui peut aller très vite mais aussi, si on le veut, être progressif, ce qui sera souvent nécessaire pour un cavalier non expert.

Apprendre, d'après ce que j'ai écrit plus haut, c'est pour le cheval reconnaître que quelque chose est possible même s'il ne l'a jamais fait, et accepter de le faire dès qu'on le lui demande. Banalité? Je ne crois pas, parce que si on tire les conséquences de cette définition certaines choses deviennent claires. De plus je redis que tout ceci n'est en aucun cas une analyse abstraite de l'objet cheval, ce n'est que le résumé d'une certaine expérience, que j'ai acquise en regardant de grands écuyers travailler et aussi en m'essayant moi-même au dressage.

À partir de cette base on voit, j'espère, que la première chose à faire est d'aider le cheval à qui on veut apprendre quelque exercice à cette première reconnaissance; puis, qu'il faudra lui faire comprendre comment on le lui demande, et lui faire admettre le caractère impératif de ladite demande. Les deux dernières exigences sont intimement mêlées.

Comment obtenir la première reconnaissance

Comme c'est le cheval qui doit prendre conscience que quelque chose de nouveau qu'il fera avec son cavalier est possible, ce dernier évitera d'éveiller l'attention du cheval. La reconnaissance aura peut-être lieu pendant le travail, mais surtout, je crois, pendant les moments où le cheval est au repos, au box ou au paddock. L'écuyer a pour rôle de faire exécuter le nouveau mouvement à son cheval, sans que le cheval ait conscience qu'on lui demande quelque chose (voir la citation en haut de page). Pour cela il doit utiliser les aides naturelles , il faut donc bien sûr (a) qu'il les connaisse, et (b) qu'il sache les appliquer correctement et avec économie. Les aides naturelles, je rappelle, sont des aides que le cheval exécute par réaction instinctive, qui ne sont pas apprises. La correction de la demande est importante pour que le cheval ne s'énerve pas, que tout se passe dans la décontraction, et c'est essentiel dans l'apprentissage.

Supposons maintenant que le cheval a exécuté notre nouvelle demande (un appuyer, une jambette, un départ au galop du pas, etc.) comme il faut et plusieurs fois, sur plusieurs leçons. Entre nos demandes, même très discrètes, le cheval a fini par s'apercevoir qu'il a fait quelque chose de nouveau, il y a réfléchi dans son box ou au paddock (je suis sérieux, chère lectrice, cher lecteur!). Et s'il n'a pas souffert de ces demandes, il va s'attendre à recommencer, il va anticiper vos demandes, peut-être même avec un peu de nervosité. C'est un moment délicat, où tout le tact du cavalier sera nécessaire. Si vous sentez que votre cheval est pressé de vous satisfaire, ayez le bon sens de ne rien demander pendant quelques minutes, voire quelques séances; surtout, ne pas profiter de son empressement. Les nouvelles demandes, maintenant que le cheval sait que vous allez lui demander ci ou ça, ne peuvent être faites que dans la décontraction physique et psychique de votre compagnon.

Comment terminer l'apprentissage

À partir de ce moment, il est permis de récompenser le cheval qui exécute bien l'ordre, et de se montrer exigeant dans la correction de son mouvement. Vous devez être très précis pour que le cheval associe psychiquement ce qui n'était jusqu'alors associé qu'au stade instinctif de l'aide naturelle.

Enfin, vous aurez peut-être, quand tout cela sera bien confirmé, besoin pour une raison ou une autre de mettre en place une aide conventionnelle pour ce même exercice; demandez l'exercice normalement, mais en associant à vos aides d'origine la nouvelle aide dont vous avez besoin. Suivez les principes de discrétion et de gentillesse que vous avez utilisés précédemment, laissez aussi le cheval réfléchir un peu (il aura besoin de moins de temps), et récompensez quand tout va bien.

Bien sûr, cette description semble idéalisée, et pour beaucoup de cavaliers hors d'atteinte: l'équitation est un art d'exécution et il faut y déployer toute son habileté. Alors, chère lectrice, cher lecteur, commencez par des choses simples qui seront à votre portée comme à celle du cheval. La route est longue mais à chaque mètre comporte des joies à découvrir!

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Auteur: Jean Magnan de Bornier

Created: 2018-10-16 mar. 18:45

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